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Cuisine et Cinéma

L’art culinaire et l’art cinématographique ont toujours fait bon ménage. Retranscrire en images ce que nous ressentons face à un plat est un exercice des plus périlleux. Au-delà de l’aspect visuel qui peut mettre en appétit, certains films arrivent à vous donner faim rien qu’en filmant ses personnages à table. Depuis le succès de Ratatouille en 2007, les productions culinaires abondent et nous livrent parfois des œuvres aux saveurs inédites. Petit tour d’horizon des films qui vous ont amené à voir ceux qui font la cuisine, ceux qui inventent par passion pour cet art si généreux.

 

Un film est souvent comparé à une recette de cuisine. Parfois on peut entendre qu’un film est très pimenté, trop sucré ou que la recette fonctionne bien. Sachant que comme dans toute bonne recette, la réussite d’un film tient à l’addition de plusieurs talents, quels sont ceux qui ont réussi à doser parfaitement leurs ingrédients afin de nous faire saliver sur nos sièges? Et quelles sont les différents plats que peuvent nous servir les cinéastes?

 

Cuisinier ou le héros secret

 

Le cuisinier au cinéma n’est pas un Zorro qui s’ignore mais plutôt un être modeste voire secret qui concocte en permanence en pensant au plaisir des autres. Dans le meilleur film sur l’art culinaire (Le Festin de Babette de Gabriel Axel; 1987) Babette, interprétée par Stéphane Audran, est une femme dont on ne connaît rien en début de métrage. Accueillie par deux sœurs dans un petit village isolé du Danemark, Babette va s’intégrer petit à petit à une micro société renfermée sur elle-même. Cette femme modeste qui gagne un jour à la loterie décide de concocter le repas célébrant la naissance du père des deux vieilles filles, un pasteur protestant. Les villageois étant habitués à se nourrir pour vivre vont expérimenter quelque chose d’exceptionnel pour eux: vivre pour manger. Défiant le pêché de gourmandise, les habitants vont se délecter de ce fabuleux repas français que Babette va leur servir. Au cours de ce repas qu’ils étaient prêts à boycotter, les langues vont commencer à se délier et la chaleur humaine va se déplacer dans la petite maisonnée.

 


 

Ce n’est qu’en fin de métrage que nous apprenons à connaître Babette: son ancien métier (chef cuistot d’un grand restaurant parisien) et sa réelle nature, celle d’une femme généreuse qui se plie en quatre pour raviver la sève humaine de ces villageois. Une superbe ode à l’être humain et ses meilleures qualités. Ici Babette se veut le contraire d’une héroïne traditionnelle. Elle est entre deux âges (à l’époque Audran est âgée de 55 ans), très taciturne, relayée au rang de second couteau jusqu’au moment où elle gagne la cagnotte. A partir de cet instant le festin va devenir le moyen pour ces villageois querelleurs de se retrouver en paix et de partager le pain. A noter aussi que le sucré Chocolat (Lasse Hallstrom; 2001) est en quelque sorte un remake déguisé du Festin de Babette (l’action se situant non plus au Danemark mais en France).

 

Le cuisinier au cinéma a donc une image très en retrait mais très fédératrice. Une belle humanité et une belle générosité que l’on découvre souvent grâce à l’inventivité et la qualité de sa cuisine. On pense aussi notamment à Vatel (2000; Roland Joffé), interprété par Depardieu: timide, gauche mais amoureux de la bonne chair/chère. Incarné à merveille par le gargantuesque Depardieu, Vatel est le symbole de la gourmandise et de la volupté Françaises.

 

Ils sont tous comparés – et à juste titre – à des artistes qui composent tout le temps pour affiner telle ou telle recette. C’est dans leur art qu’ils expriment le mieux toute leur profondeur et leurs qualités. La serveuse d’Adrienne Shelly (Waitress; 2007), interprétée par Keri Russell, ne serait pas grand-chose, si elle n’avait le don de cuisiner des tartes à tomber par terre. D’ailleurs la cuisine est pour elle un acte cathartique qui lui permet de canaliser sa colère et d’incorporer ses humeurs à ses recettes qui se révèlent épatantes. Son mari lui colle une torgnole mémorable: pas de souci, elle va créer une recette au chocolat noir très amer. C’est dans la recette que se trouve la canalisation des émotions par une marche à suivre bien précise qui recadre souvent ses personnages. Le cuisinier n’est donc pas le héros par essence. Il n’est pas le genre de personnage à emballer la fille et sauver la nation. Mais il reste évidemment bien plus proche du spectateur. Par son humanité et son amour du partage (cuisiner pour les autres), le cuisinier au cinéma est souvent rattaché à l’image du garant du bien être. Mais pas toujours…

 

Les cuistots du Diable

 

Il existe certains cuisiniers qui préfèrent travailler des viandes plus spécifiques. C’est le cas d’Hannibal Lecter dans la séquelle signée Ridley Scott, qui avec son amour de la gastronomie, nous donnerait presque envie de devenir cannibale comme lui. Il tente même de donner le goût de l’être humain à un petit garçon qui le regarde déguster de la cervelle humaine.

 

Il ya dans ce film, à travers le portrait de cet amoureux de tous les arts (peinture, musique, littérature, gastronomie…), une ambiguïté qui met mal à l’aise car elle le présente de façon très humaine. Son «art de vivre» très européen fascine autant qu’il repousse. Et c’est le plus naturellement du monde que le psychopathe le plus élégant du 7ème Art invite Clarice (et le spectateur) à sa table sanglante. Il fait cuire la cervelle d’un Ray Liotta toujours vivant mais dans le cirage. Anthony Hopkins reste formidable en grand chef du Diable. Il pousse l’être humain à se questionner sur son propre cannibalisme. Si nous sommes capables de manger toutes sortes de viandes pourquoi pas celle de son prochain?

 


 

Ce n’est pas Robert Carlyle dans Vorace qui dira le contraire. «Dis moi qui tu manges et je te dirai qui tu es» nous signalait l’affiche du film lors de sa sortie. Fabuleuse thématique de la force de l’adversaire acquise après avoir ingéré son corps. Il y a dans ce singulier et étonnant long métrage un mélange des genres (Western, Horreur, Comédie…) qui lui sied si bien et nous renvoie au plus profond de nos propres angoisses (manger pour survivre). Il y a aussi plusieurs exemples de recettes de l’être humain. Au gril ou en ragoût, c’est au choix!

 

Même si ces cuisiniers sont éminemment diaboliques, ils conservent comme les cuisiniers traditionnels une personnalité secrète, en retrait. C’est aux fourneaux qu’ils expriment, eux aussi, le mieux leurs sentiments. Le cannibalisme au cinéma n’est donc pas toujours représenté par des zombies amateurs de chair fraîche mais bel et bien par des gens ordinaires poussés soit par leur goût pour des mets originaux soit pour leur survie (Les Survivants). Il faudra aussi penser à demander sa recette de tarte au prêtre de Mrs Lovett (Sweeney Todd).

 

Mais le cuistot du Diable n’est pas uniquement là pour faire plaisir à ses hôtes. Il peut cuisiner soit pour empoisonner ses convives soit pour les détruire. Anthony Hopkins qui fait manger son fils à Jessica Lange dans l’adaptation de la tragédie de Shakespeare par Julie Taymor (Titus) ne dira pas le contraire. Ou encore la maléfique Baby Jane, préparant soigneusement les repas de sa sœur invalide à base de rat ou de canari. Ces cuistots du Diable sont là pour chambouler les codes habituels de l’art de la table, à savoir vous dégoûter de manger. Du plaisir au cauchemar il n’y a qu’un pas.

 

Cuisine subversive

 

Il faut préciser que la cuisine n’a pas toujours été fédératrice. La Grande Bouffe de Marco Ferreri était là pour le rappeler. Là où certains pays crèvent la dalle, d’autres s’empiffrent à en crever. Dans cette œuvre aussi dérangeante que fascinante, les riches bourgeois s’enferment un week-end afin de mourir par la bouffe. Comment transformer ce qui tient en vie en arme mortelle. Les Etats Unis sont les champions d’une malbouffe tueuse: les fast-foods. Personne ne peut avoir faim en voyant le documentaire Supersize Me.

 

Ces deux films en particulier sont finalement d’une grande moralité. Rendre le goût des choses vraies loin de la consommation excessive des pays riches. Prendre le temps de manger en moindre quantité pour vivre et non le contraire. Manger devient alors un acte à débat social et le cinéma n’a pas attendu longtemps pour le montrer.

 

 

Le fameux débat de manger pour vivre est d’une brûlante pertinence lorsque l’on voit Nouvelle Cuisine (le court métrage étant bien plus fort que le long). Ici la cuisinière prépare un met bien spécial puisque ce sont des ravioli à base de fœtus de femmes avortées. Ici ces raviolis permettent la jeunesse éternelle et la cuisine se transforme en théâtre d’enjeux moraux. Diaboliquement inquiétant, le film de Fruit Chan questionne durablement sur ce que l’on est prêts à ingérer pour rester jeune. Glaçant.

 

Appetit(s)

 

Le cinéma aime souvent mélanger cuisine et amour. On s‘aperçoit que certaines recettes peuvent rendre autant heureux que l’amour lui-même. On passera sous silence le navrant Simplement Irrésistible, qui aurait pu formidablement exploiter le lien entre la cuisine et la sorcellerie, et on ira directement jeter un coup d’œil aux comédies romantiques qui ont pour thème la cuisine.

 

Le goût de la vie, décevant remake de Chère Martha, avait de quoi séduire. Malheureusement le film, en mode automatique, ne donne ni goût à l’amour ni à la cuisine. Prenons plutôt les exemples des charmants Chocolat et Décalage Horaire. Tous deux avec Juliette Binoche. Dans le premier, cette dernière va rendre le sourire à un village querelleur Français d’après guerre avec ses recettes aux chocolat. Dans le second c’est Jean Reno, dans son meilleur rôle, celui d’un grand chef déprimé, qui cuisine. Et à chaque fois la recette fonctionne. L’amour redonne la faim. Ou est-ce la cuisine qui donne envie de tomber amoureux? En tous les cas, la cuisine redevient le lieu de chaleur humaine et de séduction ultime. Le don de bien préparer une recette séduit autant qu’il fascine.

 


 

Mais la faim peut aussi se mélanger avec une autre sorte de faim, plus sexuelle. On se remémore, tout ému, le souvenir d’une Kim Basinger et d’un Mickey Rourke, faisant l’amour devant un frigo tout en faisant jouer aux aliments un rôle important dans leur acte. Le sexe et la bouffe directement liés sans avoir un déroulement correct de la soirée (en général un repas – une baise). Ici tout se mélange pour rappeler les orgies romaines les plus décadentes.

 

En coulisses

 

Mais ce qui excite le plus les papilles du spectateur c’est la cuisine en train de se faire sous ses yeux. Le Festin de Babette, montre en montage alterné, la petite assemblée à table qui petit à petit se laisse aller au plaisir et dans l’autre pièce, Babette qui avec passion et dextérité prépare ses différents plats.

 

Dans Le Mariage de mon meilleur ami, on a droit aussi aux coulisses d’une cuisine de haute gastronomie s’affairant avec un stress incroyable à la concoction d’un plat pour la critique gastronomique qu’interprète Julia Roberts, jusqu’au verdict de ce même plat. On saisit formidablement l’angoisse pour ces chefs de perdre une étoile et donc leur renommée. La cuisine devenant un exploit qu’il faut alors perpétuellement renouveler.

 

 

Dans Ratatouille on a aussi droit aux coulisses formidablement détaillées de ce lieu souvent gardé secret dans la réalité. Face à un critique à la dent dure, qui n’a plus le goût des choses simples, un rat saura lui redonner le goût de manger. On pense aussi au critique qu’interprète, avec son génie comique, Louis de Funès dans L’aile ou la Cuisse. Dans cette gaudriole sympathique, devenue culte avec le temps, on s’aperçoit à quel point les restaurateurs, par peur de perdre leur étoile, mettent les petits plats dans les grands uniquement pour satisfaire les critiques. Notamment dans une scène où De Funès, plus fouineur que jamais, déguisé en vieille femme voit le staff s’affairer autour d’une table qui n’est définitivement pas la bonne. Mais plus intéressant dans ce film est la critique de la gastronomie de masse, qui se contrefout de la qualité de ses produits. Même si on reste dans la grosse comédie populaire, irréaliste (la chaîne de fabrication qui avec un tube de liquide vert fabrique des asperges), le message est clair: la France, lieu de grande gastronomie, se transforme peu à peu en paradis de la malbouffe servie par des producteurs cyniques sans âme. Le message est passé.

 

Le cinéma regorge aussi de scènes de coulisses plus familiales. Les mafieux de Scorsese se faisant la tambouille avec dextérité dans Les Affranchis ou encore ceux de Coppola dans Le Parrain, donnent faim au spectateur qui voient les yeux ébahis, les bons plats de pâtes italiennes en train de cuire.

 

Comme dans le milieu du Show business, ce qui se passe en coulisses reste en coulisses. C’est la géniale Gena Rowlands dans le moins génial La carte du cœur, qui le dit. Chef culinaire pour une émission de télé, elle fait tomber un bout de viande au sol puis le remet à cuire: «n’oubliez pas que vous êtes seuls en cuisine». Les coulisses ne sont pas forcément tout le temps ragoûtantes. Ce qui compte c’est le résultat.

 

Cuisine Familiale

 

Rien de tel au cinéma, pour l’identification du spectateur, que la cuisine familiale. Que ce soit dans l’excellent Salé sucré d’Ang Lee, où le chef cuistot mais aussi père de famille rythme sa vie familiale au gré des repas qu’il concocte ou encore cette magnifique scène où on attend en vain Marlon Brando à la fin du Parrain 2, le repas familial est devenu un lieu commun au cinéma que certains arrivent à rendre originaux.

 


 

Glaçant chez Alan Ball (American Beauty, Six Feet Under) ou hystérique chez Pialat (A nos amours), le repas familial est souvent le théâtre de règlements de conflits familiaux toujours reliés aux affrontement générationnels. Lorsque la communication est rompue la table devient le théâtre d’enjeux dramatiques et les plats redeviennent des accessoires. Maïwenn s’écrasant sur le visage un gâteau d’anniversaire dans le tendu Pardonnez-moi ou encore une barbecue ou plane le non dit dans le bouleversant Secrets et Mensonges de Mike Leigh permettent de reléguer les plats au rang de masque, de voile afin de cacher la réalité de ces repas où le malaise détourne les personnages de leur intention première: prendre du plaisir à table.

 

Le repas familial est aussi le lieu du bonheur (La Gloire de mon père; Le Mariage de mon meilleur ami) mais peut-être aussi celui d’un bonheur retrouvé. Dans Signes de M. Night Shyamalan, la petite famille dépressive depuis la mort de la mère, se ressoude lors d’un repas qu’ils imaginent être leur dernier. Plusieurs plats différents ornent ce repas funèbre qui se transforme en lieu exutoire où la famille se ressoude.

 

La cuisine familiale est régie par ses propres règles inhérentes aux membres qui la composent et le cinéma adore visiter ces scènes de vies qui peuvent être diamétralement opposées.

 

Saveurs et couleurs

 

Les scènes culinaires au cinéma restent avant tout des scènes très visuelles. Qui n’a pas eu une petite fringale devant les plans magnifiques qu’offrent Sofia Coppola des pâtisseries aux couleurs chatoyantes que mange Marie Antoinette avec délectation? Ou encore des scènes de repas fondamentales chez Wong Kar Waï, dans la presque intégralité de sa filmographie dont le dernier film (My blueberry Nights) offre une nouvelle fois un écrin splendide à la beauté des arts de la table? Qui n’a pas eu envie d’entrer dans sa télé à la vision des tartes superbes de Ned dans Pushing Daisies ? Heureusement que le cinéma nous offre la vision de ces trésors, cela nous invite à manger avec les yeux sans prendre un seul gramme.

 

 

Jean Patrick Desportes

(article publié en 2009 sur Excessif )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



31/05/2013
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